CAPUCINE VEVER

FIUME ROSSO, 2019
© Capucine Vever



Le diptyque de photographies Fiume Rosso résulte d'une action réalisée le 22 août 2019 sur la plage de Piscinas, au sud-ouest de la Sardaigne, à l'embouchure du Rio Piscinas-Irvì. Cette rivière que les sardes nomment le fleuve rouge (fiume rosso) traverse les célèbres dunes de sable de la Costa Verde formées à l'époque du quaternaire. Sur des kilomètres, de l'arrière-pays jusqu'à la Méditerranée, l'eau déploie dans sa course un dégradé fascinant de couleurs allant du bleu au rouge-rouille. En amont de la plage, le village d'Ingurtosu (aujourd'hui abandonné) abrite les vestiges d'une des plus importantes mines de Sardaigne qui employait jusqu'à 5000 personnes, classée Géoparc d'exception par l'UNESCO en 1997.

La rivière puise pourtant son captivant dégradé de couleur dans les galeries souterraines de l'ancienne mine, et refait surface chargée en métaux lourds : cadmium, plomb, arsenic, zinc et nickel. Dans une logique de valorisation du territoire, il apparaît plus important d'ériger d'anciens sites industriels en patrimoine archéologique plutôt que de mettre en place des dispositifs d'alerte suffisants et des procédures de décontamination nécessaires à la sauvegarde de l'environnement naturel commun.

Par un détournement de l'iconographie paradisiaque des dunes de sable de la Costa Verde, le diptyque Fiume Rosso révèle le rapport paradoxal que l'homme entretient avec son histoire et son environnement. L'image de gauche qui compose le diptyque retranscrit l'action, à savoir l'écriture sur le sable de la phrase La miniera respira ancora? (La mine respire-t-elle encore?), inscription pensée à l'échelle de la photographie pour l'angle de vue de l'objectif. Le terme respirer renvoie tout autant aux mineurs ayant travaillés sur le site qu'à une forme de vie qui s'opère dans le présent puisque 50 ans après l'arrêt de l'extraction, la mine rejette encore des métaux lourds. Vestiges de l'activité humaine, les blocs de béton que l'on aperçoit au bout du fleuve résonnent avec le contenu de la phrase et rappellent la mine. Les dunes de Piscinas en arrière plan sont volontairement capturées selon une représentation archétypale, au lever du jour lorsque la nature s'éveille, alors que la lumière est douce et que l'eau du fleuve reflète le paysage. Les traces de pas sur le sable témoignent de la forte fréquentation de la plage et annoncent une disparition des lettres quelques heures après leur inscription.

La seconde photographie du diptyque Fiume Rosso est un zoom projetant au cœur de la première image, sous le discret panneau reflété dans le fleuve. Fonctionnant comme un détail anecdotique dans le paysage, ce panneau est pourtant l'unique signalétique informant "du risque de contamination si les expositions dépassent une période de 60 jours". Cette mise en garde paraît dérisoire face à l'ampleur de la contamination; de plus elle ne s'adresse qu'aux touristes, au mépris de la population locale, de la faune et de la flore quotidiennement exposées aux résidus lourds.

Alors que la première image remet en cause la beauté apparente du paysage et sa dimension naturelle, la seconde se tourne vers l'eau et cherche à retranscrire la magie de la couleur du fleuve. Un magnifique dégradé qui par son esthétique puissante attire enfants et adultes à construire des barrages de sable qui terminent, emportés par l'eau colorée, dans la Méditerranée.





FIUME ROSSO

2019

Photographie : 153 x 89 cm

Encres pigmentaires Ultrachrome Pro sur papier mat Ultrasmooth, contre-collage sur dibond, cadre chêne brut et verre musée.


Réalisée lors de la résidence Contemporary - Festival Arte d'Avanguardia, Sardaigne, sur une invitation de Maurizio Coccia, critique d'art et commissaire d'exposition, et Roberto Follesa, artiste.